Combattez, avec nous, la fusion des communes !
Fusions de communes - Le hold-up "parfait" par Bernhard HUGO
E x t r a i t
Le lit des fusions
La déresponsabilisation du citoyen
Dans nos démocraties occidentales, et en Suisse en particulier, le citoyen ressent un certain malaise dans l’exercice des droits qu’elles lui accordent.
En effet, soit il se sent « submergé » par le nombre de fois où on lui demande son avis, soit il a le vague sentiment que, quoi qu’il dise, la politique se fait sans lui. Combien de fois n’entend-t-on pas « De toute façon, ils font ce qu’ils veulent ! ». Ces deux ressentis sont la principale source de la déresponsabilisation des citoyen(ne)s qui boudent les urnes et alimentent l’abstentionnisme.
Le résultat des courses, dans un monde où l’autodétermination n’est pas encore le privilège de chaque nation, loin s’en faut, nous nous retrouvons souvent avec des lois, et donc des contraintes, que nous n’avons pas réellement choisies au moment où nos élus, censés agir pour notre bien, nous les ont présentées.
Nous avons déjà largement parlé dans ce livre de la manière dont les choses s’enchaînent pour amener les citoyen(ne)s à accepter l’inacceptable, la spoliation, par la dilution de leur représentation, de leur liberté de déterminer leur environnement vital local. Il nous appartient maintenant aussi, malheureusement, de montrer que souvent nous sommes nous-mêmes la cause de nos propres malheurs.
Pour cela, revenons encore une fois sur la fameuse LEFC (Loi relative à l’encouragement des fusions de communes) fribourgeoise votée en 2011 : La Liberté titrait le 16 mai « Plébiscite pour les fusions de communes » et s’extasiait sur « l’écrasante majorité » du peuple fribourgeois qui avait dit oui à ce nouvel encouragement aux fusions de communes. La réalité était sensiblement différente puisque moins d’un citoyen sur quatre s’était déplacé aux urnes ce jour-là : 22.8%.
Puis, si l’on regarde ce que représente maintenant ce « plébiscite », 72.86% de « oui » sur 22.8% = 16.61%. 16.61% du corps électoral a donc suffi pour faire la décision d’entamer la réforme démocratique la plus fondamentale du canton après la refonte de la Constitution ! Le comble a été la réaction du Conseiller d’Etat de l’époque en charge des Institutions « C’est un message clair : les conditions sont réunies pour ce deuxième train de fusions ». Evidemment, si l’on considère la démocratie de cette manière là, on peut comprendre les réflexions citoyennes citées plus haut. Toujours est-il qu’une partie essentielle de la question est là : la déresponsabilisation du citoyen.
Bien sûr, on a bien aidé le peuple fribourgeois à tomber dans ce piège qu’il s’était déjà tendu lui-même en acceptant quelques années auparavant une refonte de sa Constitution qui mentionnait dans un article de quelques lignes que l’Etat encourage les fusions. La votation sur la LEFC était en effet agendée un dimanche de mai où aucune autre votation n’était prévue. Auparavant le débat avait été quasi inexistant dans les médias, participant déjà d’une sorte de routine d’acceptation que la désastreuse participation dans les urnes a fini de valider.
Mais quelle est la véritable valeur démocratique de ce vote ? Comment interpréter le vote négatif de 23 communes qui ont rejeté le projet ? La plupart sont de petites communes, même de toutes petites communes de moins de 100 habitants, Prévondavaux et Villarsel-sur-Marly, par exemple. D’autres, et c’est bien plus significatif, sont des communes fusionnées, Delley-Portalban, Montagny, Torny, Villorsonnens. Est-ce parce qu’on leur avait promis que le train de la fusion ne passerait qu’une fois et qu’elles refusent maintenant d’aller plus loin ? Où l’expérience de la fusion s’est-elle déjà révélé sous son vrai jour et qu’elles veulent exprimer leur mécontentement ?
Mais « si cela se fait, peu importe que quelques villages d’irréductibles continuent à résister à toute idée de fusion » comme le disait très démocratiquement le journal La Liberté.
Trop souvent le constat est relevé dans les médias, le citoyen est peu actif dans ces débats qui le concernent au plus haut point.
Autre écho lors d’une séance de présentation de fusion :
« Quelques dizaines de personnes se sont déplacées mais Suzanne Maître, présidente du comité de fusion et maire de Vicques, ne cache pas son étonnement face au peu d’intérêt manifesté pour le thème de la fusion. »
Déresponsabilisation ou manière de rejet ? Passivité surtout.
Cette passivité, d’où provient-elle, alors que le dynamisme individuel est érigé en valeur et n’est plus à démontrer ?
Les temps de crises
Parler de crises, de nos jours, quoi de plus commun. Tous les jours les médias nous détaillent en long et en large mille désordres plus anxiogènes les uns que les autres : guerres, terrorisme, crises des marchés, des écosystèmes, crise climatique, de l’énergie, crise politique, sociale encore avec son cortège de misère et de chômage qui progresse.
Ces crises viennent de loin, de tous les défis non affrontés, de tous les avertissements non entendus, de tous les déséquilibres accumulés, de toutes les démesures tolérées. Ces crises aggravées par le laisser-faire individualiste qui les a accompagnées sont aussi l’expression d’une crise culturelle et morale de nos sociétés.
Avec les crises, la peur s’installe. Pas une peur franche et motrice d’actions de défense, quelques fois héroïques du reste, telles que l’humanité a pu en vivre par le passé, notamment durant les guerres. Une peur diffuse qui anesthésie et paralyse de la même manière que les catastrophes. Une peur diffuse mise à profit par les chantres du libéralisme économique, promus assureurs de notre futur, pour imposer des réformes ultra-libérales qui se propagent ensuite dans l’action publique au préjudice de la démocratie. Ainsi, le territoire n’est plus un espace de vie où se développe, entre autres, une activité économique, mais devient une sorte de construction impliquant les collectivités publiques, les entreprises et d’autres acteurs des domaines privé, économique, social, culturel et associatif concourant tous au seul développement économique dans un esprit entrepreneurial de concurrence.
La « gouvernance » est ainsi envisagée comme un processus de confrontation et d’ajustement dynamique des acteurs régionaux en présence, sur le plus grand territoire possible. D’où la mise en place de mesures favorisant l’attractivité, notamment fiscale, des « nouveaux territoires » à investir.
Stratégie vertueuse ou opportuniste ?
Est-ce une stratégie vertueuse ? Non ! Seulement opportuniste ! En effet, la globalisation signifie une extension de l’internationalisation de l’activité économique et par-là une transformation de la stratégie des entreprises. On passe d’une économie mondiale interdépendante à une économie mondiale intégrée. Cela implique que les entreprises structurent leur activité sur une échelle planétaire, mais suppose une fragilisation des positions concurrentielles avec des mécanismes de délocalisation et de relocalisation. Toute cette réorganisation des entreprises entraîne des effets d’agglomération et d’accumulation d’avantages comparatifs territoriaux.
A travers ces considérations, on perçoit l’enjeu de la relation entre la stratégie des entreprises et les configurations des marchés du travail. On comprend par-là les mécanismes de concentration indispensables pour activer la disponibilité du flux de main d’œuvre nécessaire.
Cette agrégation de firmes dans une région se traduit par une baisse des prix industriels et une augmentation de la diversité des produits disponibles. Cette diversité entraîne elle-même l’immigration de travailleurs et une concentration de la demande qui finalement attire de nouvelles entreprises et augmente l’effet d’agglomération, prélude à la métropolisation.
Les producteurs de biens finaux et de services se rapprochent progressivement de leurs fournisseurs, ce qui accroît la densité des échanges commerciaux et l’effet de vases communicants entre le centre et la périphérie où les coûts sont temporairement plus bas. Ainsi l’habitat de « seconde zone », notamment, se trouvera encouragé dans la périphérie, instaurant le phénomène de pendularité des salariés.
Voilà la réalité qui se construit sous nos yeux et à laquelle la fusion des communes contribue maintenant opportunément… tant que notre inertie face à ce chambardement institutionnel ne sera pas bousculée par une prise de conscience radicale du trou béant vers lequel nous nous précipitons.
La culture de l’individualisme
Une des causes de cette passivité et de la relative distance entre les sujets politiques et certains citoyen(ne)s se trouve en grande partie dans la culture de l’individualisme ambiante. Un des mérites du labeur de nos prédécesseurs est d’avoir construit un monde où l’individu peut « réussir » s’il montre suffisamment de détermination. Depuis la chute du mur de Berlin, c’est aussi leur pire héritage, car il n’y a maintenant plus aucun frein à cette culture de la réussite, de l’individualisme. Les autres ?
Marche ou crève… Bien commun et solidarité sont devenus très secondaires dans les préoccupations de nos contemporains.
Mais c’est aussi cet égocentrisme qui a fait le lit du monde de prédation dans lequel nous entraîne notre conception utilitaire et marchande qui dirige maintenant les concepts de gestion publique. Les économistes ont pris la tête des écoles d’administration publique et ce sont eux qui prétendent former nos politiques.
Ce qui caractérise fortement la société actuelle, c’est que chaque individu s’y perçoit comme isolé et fait de la satisfaction de ses intérêts personnels sa priorité sociale moralement justifiée.
Cet individualisme n’est pas un choix de vie, ni une position philosophique pour la grande majorité, il est simplement « la manière de vivre à l’occidentale » que génère notre société.
Aujourd’hui, l’épanouissement professionnel, familial, social, culturel, personnel est devenu l’objectif supérieur qui fonde le comportement et les règles morales de la vie.
Toute participation à un groupe est perçue comme une dérangeante obligation qui est évaluée à l’aulne de la question : « Quel bénéfice (matériel, social, etc.) j’en tire personnellement ? ».
La mesure de la réussite sociale, ce sont les bénéfices personnels accumulés. Celui qui accumule les signes du succès (argent, relations, notoriété médiatique) est considéré comme socialement supérieur à celui qui a fait œuvre utile pour la collectivité (inventeur, créateur, bénévole).
Cette dérive vers l’individualisme forcené qui guide les comportements du plus grand nombre s’explique par le mode de vie imposé par notre société dominée par le quantitatif qui produit une forme de solitude très grande des individus.
Cela commence dès la petite enfance où chacun vit de manière séparée, les enfants à l’école, la crèche ou la garderie, les parents au travail. Fratries et parents passent le plus clair de leur temps séparés les uns des autres et ne se retrouvent ensemble que le soir pour partager très peu de vie commune qui, de surcroît, est souvent polluée par la télévision, notamment pendant les périodes de congés où ils sont déconnectés du cadre social habituel. De plus, les parents sont fréquemment séparés et l’enfant ne les voit même plus ensemble. A quoi ressemble l’univers de l’enfant qui est éclaté entre plusieurs adultes successivement tout puissants et protecteurs à son égard, mais entre lesquels il est ballotté suivant une chronologie qu’il ne maîtrise pas et qu’il ne voit qu’isolément ? Ses lieux de vie sont discontinus et il se meut dans un espace fait de lieux familiers distants géographiquement. Il en est de même, ensuite, pour l’adulte dont l’activité est segmentée en séquences qui se déroulent dans les lieux et avec des personnes qui n’ont pas de lien entre eux. L’adhésion aux activités, aux personnes, à la « culture » n’est dans ces conditions que partielle et fonction d’objectifs propres. C’est la base de cette individualisme social.
Evidemment, il existe des cadres, des activités qui s’opposent à cet écartèlement et qui créent, renforcent le lien social et donne un sens aux relations humaines.
Les associations, les amis (les « bandes » chez les plus jeunes), la vie sportive mais également la structure des lieux de vie, les villages, les petites communautés locales forment la plus archaïque et la plus solide des formes de résistance à cet individualisme contraint par l’état d’esprit ambiant. En créant de la vie commune, elles combattent l’isolement et l’indifférence des uns envers les autres et par conséquent le développement de l’individualisme.
La vie religieuse aussi – n’oublions pas qu’au départ les communes étaient le correspondant laïc des paroisses, même au niveau du territoire – a pour effet de réunir les individus dans un groupe de partage de convictions où les efforts communs, les célébrations, les émotions partagées créent des solidarités fortes en établissant des liens solides capables de perdurer quels que soient par ailleurs les autres vécus séquentiels de chaque individu. Mais la diminution de l’adhésion religieuse, et de la pratique, dont les causes remontent aux Lumières, témoigne justement de l’emprise grandissante de l’individualisme sur le comportement individuel.
Dans ce contexte, l’engagement politique au sein de la communauté locale, la résistance aux sirènes de jours meilleurs promis par les promoteurs des fusions, devient particulièrement difficile ou superficiel. Il le demeure lorsqu’il s’inscrit comme une activité séquentielle de l’individu au même titre que les autres. L’intérêt pour la politique – locale en particulier – ne se réveille et n’est virulent que dès lors qu’il touche concrètement la sphère privée et se transforme d’ailleurs souvent en combat juridique qui a comme effet collatéral l’avalanche de lois et de règlements qui étouffent ensuite l’ensemble de la collectivité. Tout ceci n’a plus grand chose à voir avec la solidarité et l’unanimité qui serait souhaitable dans les rapports humains à l’échelle qui nous occupe.
D’ailleurs, curieusement, les gens sont toujours capables de solidarité, et souvent magnifiquement. Il n’est qu’à voir les actions comme la « Chaîne du bonheur », le « Téléthon » ou encore les « Restos du cœur », pour ne citer que les plus connues chez nous. Elles drainent souvent des courants de générosité très larges fondés sur le don qui reste pourtant un acte individuel et solitaire, fortement valorisant pour le donateur, et cette propension à la solidarité ne conduit pas plus l’individu à s’investir dans sa commune, par exemple, alimentant par-là même les inquiétudes dont nous avons parlé plus haut. Il confirme plutôt le désir de faire du bien, unanimement partagé par nos cultures, mais en même temps les limites que les individus mettent à leur engagement « pour les autres ».
Cet individualisme latent explique aussi en partie l’apathie face au bouleversement démocratique fondamental représenté par les fusions. L’individu a des attentes de plus en plus marquées face aux institutions communautaires pour lesquelles il paie des impôts. Il relève facilement ce qui lui est dû et moins ce que lui imposent les prestations qui lui sont fournies. Ainsi, ces exigences accrues de la population en termes d’efficience et de disponibilité vis à vis des prestations de la collectivité expliquent en grande partie la compréhension que rencontrent les projets de fusion au sein d’une partie de la population.
Bien sûr, il existe encore un certain nombre de personnes qui ressentent le besoin de se mobiliser et de se « mettre ensemble » pour des actes bénévoles en faveur des autres ou au service de la communauté, mais elles restent une petite minorité dans une population qui au contraire garde ses distances par rapport à tout engagement.
D’autres groupes montrent par leur fonctionnement même à quel point l’engagement collectif est perçu comme limité et fortement lié aux intérêts personnels de l’individu. C’est par exemple les « associations de parents d’élèves » où l’on adhère tant qu’on est concerné et que l’on quitte dès que l’enfant n’est plus dans le circuit scolaire.
Heureusement, le monde n’est pas uniforme et les orientations sociales fortes n’entraînent pas cent pour cent des gens, mais il s’agit d’un courant de fond qu’on ne peut nier et qui participe de cet entraînement institutionnel vers des fusions qui traduisent cette tendance à déléguer ce que nous ne voulons pas prendre en charge nous-mêmes.
Mais attention au retour de manivelle ! Le même mouvement pourrait s’avérer conflictuel et violent en cas d’échec et de prise de conscience d’avoir été pris au piège du hold-up de nos libertés.
Si nous ne savons pas inverser la tendance actuelle vers cet avenir sombre, peut-être le changement aura-t-il pour origine d’autres contraintes nouvelles et plus drastiques qui se font jour.
La moins préparée, mais celle qui aura les conséquences les plus dramatiques, sera sans doute la crise du pétrole auquel nous avons petit à petit assujetti notre mode d’existence. Sa disponibilité inexorablement moindre, alors que notre dépendance est encore quasi totale, va avoir une incidence certaine sur nos déplacements et obliger à un renouvellement de nos pratiques sociales. Il n’est pas exclu que dans un futur proche, le travail et les autres activités soient de plus en plus regroupés sur des espaces géographiques plus restreints avec comme effet un resserrement des liens sociaux et une perception nouvelle des rapports humains. Une autre forme de solidarité émergerait d’un mode de vie différent et donnerait à nouveau au désir de vivre ensemble des ressorts rénovés. Dans ce cas les changements ne se feront qu’après une grave crise bouleversant de fond en comble le mode de vie actuel.
La peur du changement
Une autre attitude qui pourrait être assimilée à de l’individualisme avec une égale connotation négative, c’est la peur du changement. Souvent, mais pas exclusivement, l’apanage de personnes plus âgées qui, ayant trouvé un rythme de vie et n’ayant pas de gros moyens pour s’adapter à des situations nouvelles, préfèrent rester dans un contexte connu. Cette position n’est pas dénuée de bon sens quand elle rejette le changement pour le changement, mais sa fonction est plus psychologique que raisonnée. Elle offre évidemment des arguments bien faibles pour s’opposer à une fusion de communes, mais mérite malgré tout un certain respect eut égards à ce qu’elle exprime de la personne qui le dit :
« ça a toujours été comme ça, on avait chacun sa petite commune, on pouvait aller faire nos petites affaires ; maintenant, il faudra aller je ne sais où… »
« Personnellement, je ne sais qu’en penser ; maintenant on sait ce qu’on a et on ne sait pas ce qu’on aura après… »
La foi aveugle dans le progrès
Pour d’autres, c’est l’attitude opposée qui prévaut :
« Bien, moi je pense qu’il serait temps d’aller de l’avant. On veut faire l’Europe et on n’est pas capables de prendre onze communes… Faut arrêter, quoi ! »
Attitude plus volontariste mais identique à une réflexion encore plus fréquente et souvent entendue: « Que voulez-vous, c’est le progrès ! »
La première question à se poser dans ce cas serait de savoir ce qu’est ce progrès tout aussi « inéluctable » que les fusions…
Si ce progrès est dans l’accumulation, dans l’extension à tous prix, sans s’occuper de la fin, il est évident qu’il faut arrêter de se faire ça ! Progresser ? Oui, mais où allons-nous ?
Progresser veut dire qu’on marche. Mais vers quoi ? On marche en avant, devant soi, mais de quel côté sommes-nous tournés ? Et qu’y a-t-il devant nous ? Prenons garde ! Peut-être qu’il y a un trou devant nous. Faisons un détour, un pas de côté, mais n’allons pas dans le trou ! Or, cette tendance à la concentration, à la métropolisation de la société apparaît bien comme un trou béant vers lequel nous nous précipitons.
Retrouver le sens de la solidarité et du bien commun
Il ne faut jamais oublier de se demander où est l’intérêt des citoyen(ne)s et celui des générations futures.
Au vu de l’attaque généralisée dont elles font l’objet, les communes doivent être défendues comme un bien commun des citoyen(ne)s. La notion de bien commun est ici parfaitement justifiée puisqu’elle désigne les objets dont on a le souci à l’échelle de la collectivité, mais aussi les objets qui sont dits constitutifs de cette collectivité. Nous avons besoin de ce bien commun pour exister comme telle.
Avec la vague de fusions déferlant ces dernières années on peut cependant douter de la permanence de cette conscience du « bien commun » constitué par ce quadrillage politique fondamental de notre confédération.
D’un point de vue global, les fusions, en leur visée répondant à des critères principalement économiques et bureaucratiques, sont orientées vers des objectifs qu’on peut qualifier de particuliers à garantir par une structure assurant l’aboutissement à des résultats, alors que la poursuite du bien commun vient contredire cette représentation du monde d’après laquelle on encourage les agissements des gens quels qu’ils soient, comme s’ils étaient toujours orientés vers la satisfaction de leurs intérêts particuliers, l’un d’eux étant notamment l’intérêt à acquérir du pouvoir.
Dans cette optique, dans le cadre des fusions, les relations entre les hommes peuvent aussi être ramenés à des rapports de force entre ceux qui ont du pouvoir et ceux qui en sont démunis. Cette clé universelle permet de réduire les prétentions des « fusionneurs » à agir pour le bien commun en dévoilant les intérêts qui lui sont sous-jacents.
Pour éviter toute confusion, il convient de rappeler le rôle de l’Etat, ultime responsable, lui, du bien commun, mais surtout de rappeler que son autorité émane des citoyens. Et que la subsidiarité est primordiale au service de la démocratie et favorise son bon fonctionnement et par le fait même, le bien commun.
Bien que les ressources soient très différentes de l’une à l’autre, une solidarité, actuellement remise en question, a permis jusqu’à aujourd’hui l’existence à travers tout le pays de communes de tailles très différentes, et généralement plutôt petites, correspondant à l’échelle humaine d’une collectivité locale.
Il ne faut pas l’oublier en voyant la direction qu’a prise la vague de fusions que nous vivons avec la bénédiction de l’Etat, quand ce n’est pas à son initiative.
Un amoncellement pléthorique de lois, de règlements et de normes
Malheureusement pour nous, l’anesthésie due aux crises qui nous paniquent et le cocon de l’individualisme dans lequel nous nous réfugions pour nous rassurer ne sont pas les seuls à créer un lit favorable à « l’obsession fusionnelle » que nos communes subissent. Il faut encore montrer du doigt l’amoncellement pléthorique de lois, de règlements et de normes qui régissent le fonctionnement de nos institutions. C’est de cela que beaucoup d’élus se plaignent, rivés qu’ils sont dans leur action à des obligations dont le pointillisme aveugle même leurs concepteurs désolés.
L’Etat ne gouverne plus, il légifère.
Le caractère touffu, inextricable, pléthorique des lois et règlements actuels n’est pas simplement dû à la confusion de leurs rédacteurs, mais à la réactivité trop importante des autorités aux demandes du client-citoyen chahuté par les médias. Plus que de parler de la pertinence des textes mis en consultation chaque semaine, il convient de revenir sur le diagnostic posé par les autorités sur les maux de leurs « clients » dont l’analyse déficiente mène à des propositions de lois qui, si elles ne sont pas carrément aberrantes, sont pour le moins mal évaluées quant à leurs conséquences institutionnelles.
Même les juristes ne s’y retrouvent plus dans la « grammaire » proposée aux élèves-citoyens. La dérégulation instillée s’apparente à un « dérèglement des horloges » et plus personne ne sait l’heure qu’il est. L’inflation législative touche tous les Etats, mais a des conséquences particulièrement dramatiques chez nous sur les fondements de notre démocratie.
Il faut reconnaître que les sources du droit se sont multipliées, car, outre les lois répondant à un besoin de normation locale du droit pour en constituer le corpus, l’adaptation de nos législations au droit et aux accords internationaux génère une kyrielle de textes nouveaux destinés à les transposer et explique cette prolifération normative jusqu’au niveau premier du fédéralisme.
D’autre part, l’émergence de nouveaux domaines demandant une réglementation et des contraintes ad hoc participe considérablement à l’adaptation du droit. En matière économique particulièrement, l’introduction de normes internationales (écologiques principalement) ou leur libéralisation forcent un ajustement permanent des textes légaux où le non-spécialiste perd pied.
A cela s’ajoutent encore les textes très pointus concernant des domaines scientifiques qui nécessitent de faire appel à des spécialistes et mènent ensuite à des lois touffues dont l’application sera d’autant plus complexe à mettre en oeuvre.
Evidemment, tout cela participe à placer une pression accrue sur les petites communes qu’une péréquation de moyens adéquats mis à disposition soit par le Canton soit par l’Association de communes contribuerait efficacement à faire baisser, plutôt qu’un « accompagnement par la main » en direction de l’entonnoir de la fusion.
Table des matières
A propos 17
Préambule 19
Avant-propos 21
Page blanche ou cadre de vie? 21
Une sorte de stratégie du choc
Introduction 25
Vers le hold-up du siècle ? 25
Une déferlante politiquement correcte 29
Les 30 glorieuses ou les réformes dans le contexte de la guerre
Les 1er effets des concepts de « nouvelle gestion publique »
L’attachement aux communes des pays méditerranéens
Les nouvelles réformes territoriales françaises
Un quadrillage communal stable pendant 150 ans
Une mise en route inégale
Le coup de pouce de « l’encouragement aux fusions »
Tendance à la hausse depuis l’an 2000
Une évolution dans l’argumentation, tendance NGP
Les autorités aux avant-postes d’une stratégie volontariste
Evolution des fusions en Suisse romande 48
Au départ autoritaires mais encore ponctuelles
L’obligation rebute, essayons « d’encourager » !
…mais un encouragement constitutionnel
Des fusions « inéluctables » ? Reste à voir…
Du volontarisme à la « fusionnite »
La déferlante fribourgeoise 57
D’une solution ponctuelle à la mode contagieuse
De l’option à l’obligation
Les engrenages du processus
Neuchâtel, le canton des records
Les recours souvent balayés
Votation consultative ou droit de décision politique?
Elagage institutionnel total !
Les fusions, armes de destructions communales massives 73
Méthode Coué qu’aucun bilan ne vient contredire
Oubli d’une volonté d’analyse dès le départ?
D’où vient l’idée des fusions ? 81
Bases intellectuelles et économiques d’un concept
De la théorie à la pratique
Pour quelles raisons et quelle est la limite ?
La notion de « tâches communales »
Vers une hiérarchie des communes
Le transfert de tâches communales au canton
Des fusions rarement “volontaires”
Des fusions imposées d’en haut 93
Une idée pragmatique qui mine les communautés locales
Une réforme territoriale et administrative qui emporte tout dans sa mise en oeuvre
Les surfeurs de la déferlante « fusion »
Les outils d’une machine anti-démocratique 101
La préparation de l’entonnoir législatif: la technique du saucisson
La conjonction des lois et règlements
Les incitations financières
L’aide financière cantonale
A qui profite l’incitation financière ?
Débats autour de la péréquation : moins de solidarité cantonale pour plus de pression
Allocation de fusion contestable en comptabilité
La promesse d’une baisse d’impôts : un peu de glue pour les mouches
Bilan d’un leurre financier : Huit communes sur onze !
Un taux d’imposition systématiquement proposé à la baisse
L’introduction de la concurrence fiscale
Le revers de la médaille
Un mandat bien peu démocratique
Le lancement du projet de fusion
Les partenaires
Les outils à disposition des communes
Neutralité discutable des moyens en oeuvre
Les groupes de travail
Et l’intégration de la population ?
L’information de la population : « Communication » plutôt qu’information
Appliquer la collégialité au personnel communal…
Le combat linguistique
En guerre contre la démocratie ? une guerre larvée certainement
Information ou désinformation ?
Certains médias, des alliés de poids
Les conventions, outils de l’enterrement de toutes les promesses
Processus sans porte de sortie – Le problème du retour arrière
…et celui de l’abrogation des obligations décidées
L’urgence contre la réflexion
Sondages et manipulation
L’approche sociologique des opinions
Dénigrement de la résistance, voire menaces
Avis contraires ?
Est-il prévu un budget pour des opposants au projet de fusion ?
Le vote
La gestion des refus
Cent fois sur le métier tu remettras l’ouvrage!
Une perte nette à prix exorbitant 148
L’institutionnalisation du déficit de représentation
Représentation du citoyen
Représentation de la commune
Le problème de la période transitoire et des législatures suivantes
Que coûtent réellement les fusions?
Les administrations professionnelles sont plus coûteuses et plus anonymes.
Les petites communes gèrent mieux leur budget que les grandes
Les grands coûts viennent plus tard
Les coûts cachés
L’imposition d’un modèle de société 161
Croissance à tout prix 161
Ce qui est petit est-il insignifiant ?
Urbanisation de la société
Augmentation du risque sécuritaire
Concentration, centralisation : la vision d’une pensée unique
Un concept auto-alimenté
Toujours plus
Small is beautiful
Vision économique du monde 173
La Nouvelle Gestion Publique (NGP)
La transposition de la logique économique au niveau politique
Une commune se gère-t-elle comme une entreprise ?
L’attractivité fiscale, nouvel étalon du bien-être
Les argumentaires adeptes de la méthode Coué
L’autonomie communale 182
Un monde de prédateurs ?
Un peu de mathématiques autour de la nouvelle Belmont-Broye
Plus forts comment ? Et envers qui ?
Difficulté de trouver des candidats pour les charges communales 195
Le désintérêt pour la chose publique, vraiment ?
Le boomerang
Professionnaliser : Circulez, MM. Mmes les bénévoles ! 201
On prend les mêmes et on recommence…
Garantir une postérité à nos enfants
Proximité 209
L’inadéquation des territoires 211
Accroître les prestations à la population 214
Mise en commun des ressources… et des dettes 215
Les collaborations intercommunales 216
Rien ne change ? Si, tout change ! 225
Une démagogie naïve
Rien ne change, vraiment ?
Le nom et les armoiries
Vision globale du développement ?
Les autres standards de l’argumentation 230
Meilleures prestations, meilleures infrastructures et services plus efficaces
Harmonisation fiscale à la baisse
Composition et répartition des autorités
Le droit de cité et lieu d’origine
Le personnel communal
L’administration communale
Instauration d’une opinion de partis
Les règlements communaux
L’identité villageoise
Les sociétés locales
L’école, centre culturel du village et pas seulement…
Et le reste…
Un mariage d’amour ?!
Problèmes mal analysés, arguments faussés 251
Fusions, fausse solution à de vrais problèmes 251
Les arguments faussement convaincants
Limites de performance et mesures de réforme
Les charges liées
La fusion, pensée unique et unique solution
Faiblesse des études et des analyses
Les conseilleurs et les payeurs ?
La Suisse, un modèle de démocratie ? 265
Braderie dans le temple de la démocratie
Un amour modéré de la démocratie
Vous avez dit démocratie ? 267
Démocratie représentative et représentation proportionnelle
La perversion actuelle du concept et de la réalité démocratique
Les élections vident la citoyenneté de son sens
La dilution du pouvoir
51% contre 49%
La quête du quorum perdu
Volonté d’efficacité contre temps démocratique
Décentralisées et proches du citoyen
Les éléments fondamentaux du modèle helvétique
Fusion à tout prix – non merci!
L’assemblée des citoyen(ne)s (communale/primaire), cœur de la commune politique
La commune, communauté
La commune, fondement de la participation
La commune, lieu d’identification
La commune, cellule fondamentale du fédéralisme
La commune, premier niveau de la souveraineté
La commune, notre culture
Les avantages des petites communes
Les petites communes dernier rempart de la ruralité
L’amour du petit et de la convivialité
Alors, la Suisse peut-elle rester un modèle?
Démocratie, problème à régler ou cause à défendre? 295
La déresponsabilisation du citoyen
Les temps de crise
Stratégie vertueuse ou opportuniste ?
La culture de l’individualisme
La peur du changement
La foi aveugle dans le progrès
Retrouver le sens de la solidarité et du bien commun
Un amoncellement pléthorique de lois
Vraies questions et vraies solutions 313
Vraies questions 313
Du réflexe à la réflexion
Qu’est-ce qui est en jeu ?
La fusion réduite à des questions matérielles
Faire abstraction de la démocratie pour réaliser la fusion ?
Comment protéger et stimuler la démocratie?
Qu’est-ce qui peut favoriser la résilience des communautés locales?
Comment intégrer localement les problématiques mondiales ?
Comment développer la responsabilité individuelle, la solidarité ?
Mettre en place un dialogue gagnant-gagnant
Est-ce bien le bon moment pour promouvoir les fusions?
Pour sortir de l’entonnoir
Vraies solutions 320
La revalorisation de la milice
La parole aux citoyens
Le lieu de la parole : l’Assemblée Communale
Inventorier les synergies possibles sans détruire le noyau de base
Intégration de la population à tous les stades d’un processus de réflexion
Collaboration renforcée avec les voisines : La fusion reste une solution parmi d’autres
Préserver la démocratie directe
Une péréquation des moyens
Le service à la communauté
L’exemple d’une petite collectivité…
Un outil mal valorisé : L’Association des communes
Education civique renforcée
Arrosons notre jardin démocratique
Le rôle des députés
Epilogue 339
Retrouvons un peu d’objectivité
Changeons les règles du jeu !
Une réelle compensation démocratique est indispensable
Et ce bilan? Qui le fera?
Résistance 355
“Contre” pour l’équilibre
Comment ? Que faire ? 356
Analyse
Franches-Montagnes, je m’engage 363
Un combat emblématique, Asse-et-Boiron 377
Chavornay, jamais deux sans trois 384
Belmont-Broye, le hold-up illustré 385
Entre-deux-Lacs : record de remise sur le tapis 404
Annexes 405
Débat entre le Prof. P-A. Rumley et l’auteur
Repères chronologiques
Constitutions, lois et fusions
Conseils exécutifs et législatifs communaux (Suisse Romande)
A c h a t en l i g n e :

434 pages
ISBN – 978-2-8399-1873-2
Editions de l’Ermitage
Avril 2016